A la fin du confinement, le musée d'Orsay fut un des premiers musées à rouvrir ses portes. Je n'ai pas attendu pour m'y rendre, car j'étais impatiente de découvrir l'exposition temporaire dédiée au peintre français James Tissot. Ce peintre m'était jusqu'à ce jour inconnu, bien qu'une première rétrospective avait été organisée en 1985 au Petit Palais. Ses tableaux sont source de contrastes : du blanc, du rouge ou du bleu les illumine. Et, ils sont riches de détails et de précisions : on s'attarde et on s'interroge. J'ai photographié beaucoup de tableaux, dans leur globalité mais aussi dans le détail. L'exposition vient de se finir, je vous en fais un résumé en reprenant les panneaux explicatifs.
D'origine nantaise, James Tissot fait son apprentissage à Paris vers 1855 dans l'atelier de deux disciples d'Ingres qui lui donnent le goût du dessin. De 1859 à 1862, il voyage en Belgique, Allemagne, Suisse et Italie. Il se passionne pour les primitifs italiens (Carpaccio, Bellini), les maîtres allemands de la Renaissance (Cranach, Dürer ou Holbein) et son contemporain belge Henri Leys. Dès 1859, il expose au Salon. Le Retour de l'enfant prodigue le récompense en 1863 d'une mention honorable. Mais, il reçoit aussi de vives critiques : "Rien de plus déplaisant que ces anachronismes compilés et prémédités. M. Tissot n'imite que les défauts des maîtres qu'il parodie" Paul de Saint-Victor.
A la même période, Tissot peint plusieurs tableaux sur le thème du Faust de Goethe. Tissot ne montre d'intérêt que pour l'innocente Marguerite prise au piège par le diable Méphistophélès. Sept tableaux lui sont consacrés. Rencontre de Faust et de Marguerite est le seul tableau de Tissot acquis par l'Etat de son vivant.
Après ces critiques, Tissot présente au Salon de 1864 des tableaux très différents : Le Portrait de Mlle L. L... et Les deux soeurs : portraits. Ils connaissent un grand succès et rangent Tissot parmi les réalistes. Ces oeuvres s'inspirent à la fois du portrait d'apparat, de la scène de genre, du portrait photographique ou de la gravure de mode.
Véritable "peintre de la vie moderne" selon Charles Baudelaire, Tissot s'attache à représenter la beauté particulière des physionomies, des costumes et des objets de son temps. Son tableau Partie carrée représente une scène galante grivoise de couples d'amoureux de fin du XVIIIe, et non un pique-nique bourgeois de Parisiens du Second Empire du Déjeuner sur l'herbe de Manet.
Dans Portrait des quatre enfants d'Emile Gaillard, les petits modèles de wagons sur le tapis célèbre la richesse matérielle d'une classe sociale.
James Tissot, Portrait des quatre enfants d'Emile Gaillard (1868), huile sur toile. Collection Mr and Mrs Kadish
L'art de Tissot séduit de riches clients, aristocrates dandys ou grands bourgeois. Ils lui commandent des portraits ou collectionnent ses scènes de genre. Ces peintures diffusées par la photographie, vendues par de grands marchands d'art parisiens et londoniens, exportées aux Etats-Unis, font de Tissot l'un des artistes les plus en vue de son temps et bientôt un homme riche.
James Tissot, Le marquis et la marquise de Miramon et leurs enfants (1865), huile sur toile. Musée d'Orsay, Paris.
Tissot fait partie des premiers "japonisants" français, bien avant l'Exposition universelle de Paris de 1867 où le Japon expose. Sous le Second empire, c'est l'un des plus grands collectionneurs d'objets asiatiques et il est également le professeur de dessin du prince japonais Tokugawa Akitake qui fait ses études à Paris suite à l'Exposition universelle. Tissot appellé "chiso", par la délégation japonaise, ne cesse d'exprimer son enthousiasme pour le Japon dans ses oeuvres. En 1864, son tableau Japonaise au bain représente une européenne vêtu d'un kimono. Cela traduit la vision fantasmée du Japon qu'a un peintre parisien en fréquentant les marchands de "japonaiseries".
A la fin des années 60, Tissot met en scène sa collection d'objets asiatiques sous les regards de jeunes femmes se promenant dans son hôtel particulier.
James Tissot, Jeunes femmes regardant des objets japonais (1869), huile sut toile. Cincinnati Art museum.
Pendant la guerre de Prusse, Tissot est intégré au corps des volontaires de la Défense nationale, dans le bataillon des tirailleurs de la Seine. Il s'illustre lors des combats de la Malmaison. On ne sait pas s'il a participé à la Commune. Mais c'est à ce moment-là qu'il quitte Paris et s'installe à Londres.
Tissot est accueilli par son ami Thomas Gibson Bowles, directeur du magazine Vanity Fair auquel il a déjà donné des caricatures sous le Second Empire.
James Tissot, Napoléon III, empreur des Français (1869), chromolithographie. Londres, National Portrait Gallery.
En Angleterre, Tissot retrouve des amis de Paris et intègre la société victorienne qui lui commande des portraits. Mais, il garde son regard d'exilé français à Londres. Il teinte d'ironie ses tableaux sur les moeurs rigides de l'ère victorienne. Dans Too early, il ironise sur une situation aussi banale qu'inconfortable : arrivé à un bal qui n'a pas encore débuté, c'est embarrassant ! Exposé à la Royal Academy en 1873, le public londonien s'en réjouit.
Dans London visitors, Tissot capte une scène insolite. Un couple arrêté sous le portique de la National Gallery : l'homme consulte un guide touristique, tandis que la femme fixe hardiment le spectateur tout en pointant un élément extérieur avec son parapluie. Devant eux, un garçon de la Christ Hospital School qui proposait des visites du musée. Derrière l'horloge du clocher indique 10h35. Ce couple a visité à grande vitesse le musée !
Dans The Gallery of HMS Calcutta, Tissot représente un jeune officier, porteur d'une alliance, qui regarde deux jeunes femmes en robe de mousseline translucide. Exposé à la Grosvenor Gallery, les critiques jugent le sujet grivois (le titre de l'oeuvre pourrait être "quel cul tu as"...).
Tissot se passionne pour la Tamise et les stations balnéaires britanniques. Le peintre y trouve beaucoup d'inspiration : industries et loisirs s'y mêlent, trivial et beau, La presse se montre séduite de voir un étranger représenter avec beaucoup de sensibilité la réalité contemporaine.
Comme dans beaucoup de ses tableaux, Tissot y laisse des détails permettant de lire l'image. Le motif sur les manches du chemisier de la jeune femme représente un pavillon de marine que l'on retrouve sur la longue vue. Il s'agit ici d'un damier bleu signifiant "No", peut-être pour faire comprendre au jeune homme qu'il n'a aucun espoir...
Pendant son séjour anglais et à son retour en France, Tissot produit des pièces en émail cloisonné : jardinières, théières, vases.... Elles s'inspirent des objets en émail cloisonné chinois et japonais de sa collection. On ne sait pas pourquoi, il s'est mis à travailler le métal, ni comment il s'est formé. Peut-être par son secrétaire qui était également graveur et émailleur.
James Tissot. Jardinières aux plaques carrées -grotte et pièce d'eau (1882), bronze doré, émaux cloisonnés, cristal de roche. Paris, Musée d'Orsay
Pendant son séjour londonien, Tissot accorde beaucoup de place à l'univers du jardin et des parcs. Représentés souvent comme des lieux clos par les feuillages, pelouses, plan d'eau, Ces espaces sont des mises en scènes énigmatiques. On y voit une figure féminine souvent inspirée par sa compagne Kathleen Newton : rêveuse, convalescente, indolente, rageuse. On se croit au milieu d'une intrigue dont Tissot ne donne pas la réponse. Une fois de plus, la minutie de Tissot permet aux spectateurs de s'attarder sur les objets et plus sur l'histoire.
James Tissot, The reply dit aussi the letter (1874), huile sur toile. Ottawa, National Gallery of Canada.
James Tissot, Un nemrod dit aussi le Petit nemrod (1882-1883), huile sur toile. Besançon, musée des Beaux arts et d'archéologie.
En 1876, Tissot rencontre à Londres Kathleen Newton. Elle emménage chez lui et devient sa principale source d'inspiration, jusqu'à sa mort en 1882. Très affecté par cette perte, Tissot se documente sur les expériences de communication avec les morts. En faisant appel à un médium anglais, Tissot croit parvenir à entrer en contact avec la défunte lors d'une séance de spiritisme. Il reproduit cette "apparition" dans une peinture.
Quelques mois après l'apparition de Kathleen, il a une vision du Christ dans l'église Saint-Sulpice. Il va alors se consacrer à l'illustration de l'Evangile. Il souhaite rétablir la vérité du récit biblique "faussée par des fantaisies de peintres". Il va donc voyager en Terre sainte de 1886 à 1889 et en 1896. Il s'y documente et s'imprègne des lieux. Les images qu'il peint dont la traduction de ses "visions". En 1894, il connaît un grand succès en présentant 270 des 365 aquarelles au Salon. En 1896, elles sont publiées sous le titre La Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'ouvrage est un best-seller et considéré comme l'un des plus beaux lièvres du siècle.
La Vie de notre seigneur Jésus-Christ (1896), lithographie et gravure. Nantes, Collection particulière
James Tissot, Portrait du pélerin (1886-1894), Gouache et graphite sur papier vergé gris. New-York, Brooklyn museum.
En 1880, Tissot réalise une série de 4 tableaux évoquant le récit du fils prodigue en version moderne : le départ, en pays étranger, le retour, le veau gras. Il les expose plusieurs fois et lui valent une médaille d'or à l'Exposition universelle de Paris de 1889.
James Tissot, The prodigal son in modern life : The departure (1880), huile sur toile. Paris, musée d'Orsay en dépot au musée d'arts de Nantes
James Tissot, The Parable of the prodigal son : in foreign climes (1880), huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, en dépôt au musée d'Arts de Nantes.
James Tissot, The Parable of the prodigal son : the return (1880), huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, en dépôt au musée d'Arts de Nantes.
James Tissot, The Parable of the prodigal son : the fatted calf (1880), huile sur toile. Paris, musée d'Orsay, en dépôt au musée d'Arts de Nantes.
Vers 1884, Tissot peint une série de peintures sur le thème de "La Femme à Paris". Dans ces tableaux où les femmes incarnent tout à tour les fantasmes masculins de la poupée et du Sphinx, il est surtout question de regards échangés entre les hommes, les femmes et le spectateur. Cette série, permet à Tissot d'aborder les thèmes naturalistes : le boulevard, les commerces, le monde des spectacles, de la finance ou les sociabilités artistes. Il en fit une exposition personnelle à Paris. Mais c'est un échec. Les critiques lui reprochent d'être trop anglais !
James Tissot. Les Demoiselles de Province (vers 1883-1885), huile sur toile. Collection Diane B. Wilsey.
James Tissot, La Demoiselle d'honneur (vers 1883-1885), huile sur toile. Leeds Museums and Galleries.
James Tissot. La Demoiselle de magasin (vers 1883-1885), huile sur toile. Collection Art Gallery of Ontario, Toronto.
James Tissot. Ces Dames des chars (vers 1883-1885), huile sur toile. Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design
James Tissot, La plus jolie femme de Paris (vers 1883-1885), huile sur toile. Genève, musée d'arts et d'histoire.
James Tissot, Les Femmes d'artistes (vers 1883-1885), huile sur toile. Norfolk, Chrysler Museum of Art.
Jusqu'à aujourd'hui, mes peintres français préférés étaient impressionnistes (Monet, Renoir...). Maintenant je vais rajouter James Tissot !
Le catalogue de l'exposition "James Tissot, l'ambigu moderne, Réunion des musées nationaux, 2020, (342p.)" est très beau. Il est imprimé sur papier glacé mat avec une couverture rigide. Il comporte de nombreuses explications et la totalité des oeuvres exposées. Et comme moi, ils ont repris des détails de tableaux.