L'été dernier, dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, je me suis rendue au musée des Beaux-Arts de Rouen pour visiter l'exposition "François Depeaux, l'homme aux 600 tableaux". Je vous en fais un résumé.
François Depeaux (1853-1920), entrepreneur, collectionneur et philanthrope rouennais, s'est passionné pour l'impressionnisme qu'il a collectionné de façon compulsive à partir de 1884. On peut évaluer à près de 600 le nombre d'oeuvres qu'il a possédé. On y trouve plus de 60 Sisley, 50 Lebourg, 20 Monet, mais aussi des chefs-d'oeuvre de Renoir, Toulouse-Lautec, Pissarro et un ensemble de l'école de Rouen. Cette collection est en partie dispersée aujourd'hui. Elle a enrichi les collections des plus grands musées du monde. Mais aussi, fait de sa ville "la première en province à ouvrir les portes de son musée à un art qui, tant critiqué à ses débuts a maintenant conquis sa place." Cette exposition est la première à lui être consacrée.
L'entrée de la donation Depeaux au musée des Beaux-Arts de Rouen constitue pour le mouvement impressionniste un évènement fondateur pour son acceptation. Formé dès 1900 et rendu public en 1903, le projet de donation de François Depeaux fut concrétisé en 1909, à la suite de son divorce. Le maire de Rouen, Auguste Leblond, déclara : "En visitant la collection Caillebotte au musée du Luxembourg, je n'ai pu m'empêcher de concevoir une légitime joie à la pensée que bientôt Rouen n'aurait plus à envier à Paris sa riche collection." Le donateur exige que les oeuvres soient en permanence présentes dans les salles. Offertes au public depuis plus de 100 ans elles ont, comme le souhaitait François Depeaux largement contribué "à la réputation artistique de notre chère et vieille cité."
François Depeaux aimait la compagnie des artistes et c'est sans aucun doute d'Alfred Sisley qu'il fut le plus proche. Les liens d'amitié qui ont uni les deux hommes expliquent la place considérable que l'artiste occupe dans la collection Depeaux.
Des séjours que Sisley accomplit en Normandie, c'est celui de l'été 1894 qui est le plus productif. Invité par François Depeaux à occuper l'une de ses propriétés, il réalise plusieurs tableaux sur les bords de Seine, notamment à Sahurs. A l'issue de cette campagne, cinq toiles intègrent la collection. Sysley meurt en 1899 dans la gêne, sans avoir atteint de son vivant la notoriété de ses amis impressionnistes.
François Depeaux aura été tout au long de son existence extrêmement sensible aux paysages du peintre. En 1909, il écrit à Paul Durand-Ruel : "Je vous avoue ne pas comprendre que les tableaux de Sisley soient difficiles à vendre, étant donné que de l'école impressionniste, c'est à mon sens, certainement celui dont la peinture contient le plus de poésie et qui continuera à être le mieux compris."
Alfred Sisley, La Seine à Sahurs, coup de vent (1894), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.
Depuis le triomphe de l'impressionnisme à l'Exposition universelle de 1900, une série de ventes publiques font flamber les prix. Cette engouement incitera François Depeaux à organiser une vente le 25 avril 1901 avec l'appui de Paul Durand-Ruel comprenant 63 oeuvres dont 16 Sisley, 5 Monet, 4 Toulouse-Lautrec, 2 Pissarro, 1 Renoir... François Depeaux se séparera d'oeuvres qu'il juge redondantes ou pour lesquelles il n'a plus d'intérêt. C'est ainsi que Toulouse-Lautrec se réduit dans sa collection et qu'il se tourne vers l'Ecole de Rouen.
Henri de Toulouse-Lautrec, A sa toilette Madame Fabre (1891), huile sur carton, collection David et Ezra Nahmad.
François Depeaux s'attache à implanter l'esthétique impressionniste au Royaume-Uni. En 1897, c'est à son invitation que Sisley entreprend sa dernière campagne de peinture sur le motif au Pays de Galles. En 1911, il effectue une donation de six tableaux de l'Ecole de Rouen à la Glynn Vivian Art Galery de Swansea, où il organise en 1914 une exposition d'ampleur réunissant 43 tableaux accompagnés d'un catalogue traduit en anglais. La Première guerre mondiale vient mettre fin à son commerce florissant qui aura financé le développement de sa collection.
C'est sous ce terme que se regroupe un ensemble d'artistes normands intéressés par l'impressionnisme et ses suites. Aux côtés de Charles Frechon (1856-1929), on trouve notamment Albert Lebourg (1849-1928), Robert-Antoine Pinchon (1886-1943), ou Marcel Couchaux (1877-1939).
Pour François Depeaux cette éclosion de talents représente une opportunité unique : lui qui n'a pas participé à la naissance de l'impressionnisme glorifiera cette nouvelle école. Durant plusieurs décennies, il collectionne ces artistes dans des proportions phénoménales, acquérant leurs oeuvres par dizaines, faisant pression sur les galeries parisiennes pour qu'elles leur consacrent des expositions. Il promeut jusqu'à la fin de sa vie cette nouvelle génération d'artistes dont beaucoup lui doivent leur carrière.
Charles Frechon, Rouen, île Lacroix, cours de la Reine (1890), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.
Albert Lebourg, Route au bord de la Seine à Suresnes (1890), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.
Gustave Loiseau (1865-1935), Une rue à Mortain, eige (1896), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.
Le collectionneur, son marchand Paul Durand-Ruel, et les artistes ne pouvaient que redouter la mise en vente de 250 tableaux et dessins sur le marché parisien, qui risquait de faire plonger la cote de l'impressionnisme. Au dernier moment, François Depeaux charge Paul Durand-Ruel d'acheter pour son compte une cinquantaine d'oeuvres qu'il espère sauver de la dispersion. En deux jours, la vente totalise 551 437 francs. C'est un succès. "Ce qu'il y a d'intéressant dans cette vente, c'est que plusieurs tableaux ont été achetés par de grands collectionneurs qui jusqu'ici n'avaient pas voulu laisser entrer chez eux une seule oeuvre de cette école" écrit Paul Durand-Ruel.
La vente Depeaux va finalement assurer le triomphe de l'impressionnisme. Les artistes sortent confortés par des prix très soutenus, de nombreuses oeuvres rejoignent les meilleures collections publiques et privées du monde entier.
Henri Ottmann, (1877-1927). La Dame au balcon (1906-1907), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-ARts.
Je n'ai pas pris beaucoup de tableaux car la majeure partie m'étaient déjà connus. Cette exposition nous plongeait dans la vie d'un collectionneur. C'était très intéressant. Après l'exposition, j'ai visité le musée des Beaux-Arts de Rouen.