Peintre, dessinateur et graveur actif à Ratisbonne, Albrecht Altdorfer (1480-1538) fut l'un des artistes majeurs du XVIe siècle allemand. Il s'inspira des estampes et créations artistiques de ses contemporains italiens et allemands. Artiste cultivé, il travailla pour les grands souverains de son époque, tels que l'empereur ou le duc de Bavière. Avide de nouveautés, il fut pionnier dans de nombreux genres et influença après sa mort toute une génération d'artistes.
Moins connu qu'Albrecht Dürer et Lucas Cranach. Cette exposition met en évidence la spécificité de son art. Organisée en collaboration avec l'Albertina de Vienne, elle présente pour la première fois en France toute la richesse et la diversité de son oeuvre.
A cause des mesures sanitaires qui ont obligé les musées à fermer leurs portes à partir du 1er Novembre 2020. Peu de public a pu découvrir cette exposition qui avait lieu au Louvre du 1 Octobre 2020 au 8 Mars 2021. Mais heureusement, je m'y suis précipitée 2 jours avant la fermeture. Et, en voici le résumé d'après les panneaux explicatifs et mes oeuvres coups de coeur.
Les premières oeuvres datées d'Altdorfer laissent entrevoir un style personnel déjà abouti, qui puise son inspiration dans de nombreux modèles d'artistes allemands ou italiens contemporains ou d'une génération avant lui. Grâce aux estampes qui circulaient abondamment, Altdorfer s'est nourri de nouvelles formules artistiques ou iconographiques mises au point par Albrecht Dürer (1471-1528), Lucas Cranach (1472-1553), Jacopo de Barbari (1445-1516).... Toutefois, il ne s'agit nullement pour Altdorfer de copier une composition à succès. Il se démarque des normes classiques de la Renaissance italienne. Son art fait également écho à des thématiques érudites, et témoigne qu'il connaît les débats philosophiques et théologiques de l'époque grâce à la fréquentation des cercles humanistes de Ratisbonne.
Tout au long de l'exposition, les oeuvres étaient souvent disposées en binôme, afin de bien voir les inspirations d'Altdorfer ou de voir les artistes s'en inspirer.
Par exemple ces deux tableaux : l'un a été inspiré d'une gravure de Dürer et l'autre a inspiré une gravure de Cranach.
Albrecht Altdorfer, Saint François recevant les stigmates - Saint Jérôme en pénitent (1507), huiles sur bois, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin.
Albrecht Dürer, Saint François recevant les stigmates (1503-1504), gravure sur bois. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. / Lucas Cranach, Saint Jérôme (1509), gravure sur bois. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes.
Pour faire ce tableau, Altdorfer a sans doute pris pour modèle la gravure de Antonio da Brescia (1460-1523).
Albrecht Altdorfer, Sainte Famille avec un diacre (1507), huile sur bois. Vienne, Kunsthistorisches Museum. / Giovanni Antonio da Brescia, Sainte Famille avec sainte Anne et le petit saint Jean, burin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes.
Pour la représentation du corps humain de cette estampe, Altdorfer a pris ses sources dans celle de Jacopo de 'Barbari.
Albrecht Altdorfer, Tentation de deux ermites (1506), burin. Vienne, Albertina. / Jacopo de 'Barbari, Apollon et Diane (fin du XVe ?), burin. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Ici la ressemblance avec l'oeuvre de Dürer, est très proche. Mais non, Altdorfer ne s'est pas contenté de copier.
Albrecht Altdorfer, Vierge aux longs cheveux tenant l'Enfant Jésus (1509), burin. Vienne, Albertina. / Albrecht Dürer, Vierge à l'Enfant sur un croissant de lune avec une couronne d'étoiles (1508), burin. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Et là, Altdorfer reprend dans un effet miroir une estampe de Cranach tout en rajoutant des détails.
Albrecht Altdorfer, Jugement ou Rêve de Pâris (1511), / Lucas Cranach l'Ancien, Jugement ou Rêve de Päris (1508), gravure sur bois. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiqes.
J'ai bien aimé ces deux dessins d'Altdorfer réalisés à 4 ans d'intervalle.
Albrecht Altdorfer, Couple d'amants dans un paysage (1504), plume et encres noire et grise sur une esquisse à la pierre noire. Berlin, Staatlische Museen zu Berlin. / Couple d'amants dans un champ de blé (1508), plume et encre brune. Bâle, Kunstmuseum Basel.
La technique du dessin sur papier préparé, dit aussi dessin en clair-obscur, est bien connue au nord des Alpes depuis le dernier tiers du XVe siècle. Altdorfer l'a pratiquée avec une intensité et originalité qui le démarquent des autres artistes allemands.
Lucas Cranach l'Ancien, Saint Jean Baptiste dans le désert (1503-1504), plume et encre brune, rehauts de gouache blanche sur papier préparé brun-rouge. Lille, palais des Beaux-Arts.
De 1506 à 1518, Altdorfer a exécuté plus d'une cinquantaine de dessin selon cette esthétique, consistant à travailler à l'encre noire et à la gouache sur un papier sur lequel un fond de couleur était apposé au pinceau. Cet ensemble constitue pour Altdorfer un véritable laboratoire graphique, où l'artiste traite de tous les sujets, profanes ou religieux. Il dispose les ombres et les lumières de manière expressive et non réaliste.
Dans l'un de ses premiers dessins, on remarque qu'Altdorfer montre sa connaissance de l'art italien, en reprenant des danseuses d'Andrea Mantegna (1431-1506).
Albrecht Altdorfer, Allégorie : Terpsichore et Philosophie ou Paix et Minerve (1506), plume et encre noire, rehauts de gouache blanche, sur papier préparé brun-rouge. Berlin Staatlische Museen zu Berlin. / D'après Andréa Mantegna, Quatre muses dansant (après 1497), burin. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes.
Albrecht Altdorfer, Le Départ pour le sabbat (1506), plume et encre noire, rehauts de gouache blanche, sur papier préparé brun-rouge. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Comme ceux de ses contemporains, les dessins en clair-obscur d'Altdorfer étaient recherchés et alimentaient un marché de connaisseurs, qui voyaient dans ces feuilles des petits tableaux d'une grande virtuosité. Ils pouvaient donner lieu à des copies dans l'atelier ou en dehors, contribuant ainsi à la renommée de l'artiste.
Sur ce dessin, Altdorfer a tracé un filet d'encadrement qui le destine au marché de l'art. Erhard Altdorfer (1490-1561), le frère d'Albrecht commença sa carrière au côté de son frère. Il a pu ainsi reprendre des attitudes du dessin d'Albrecht.
Albrecht Altdorfer, Deux lansquenets et un couple d'amoureux (1506), plume et encre noire, rehauts de gouache blanche sur papier préparé brun-rouge. Copenhague, Statens Museum for Kunst. / Erhard Altdorfer, Porte-étendard et deux lansquenets (1506-1508), plume et encre noire. Francfort, Städel Museum.
Erhard Altdorfer, Saint Jean à Patmos (1510-1515), plume et encre noire, lavis brun, rehauts de gouache blanche sur papier préparé brun-rouge. Francfort, Städel Museum.
Ce tableau évoque les dessins en clair-obscur et nous introduit dans les gravures sur bois d'Altdorfer.
De 1511 à 1521, Altdorfer explore la technique de la gravure sur bois. Il a sans doute voulu se confronter aux oeuvres de Dürer, qui édite ou réédite cette année-là la Petite Passion et la Vie de la Vierge.
Albrecht Dürer, La Cène planche pour la Petite Passion (1508-1509), gravure sur bois. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Albrecht Dürer, La Nativité (1502-1503) / L'Annonce à Joachim (1504-1505) planches pour la Vie de la Vierge, gravure sur bois. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Altdorfer se distingue de son aîné par son approche novatrice de l'iconographie traditionnelle, ainsi que par des éclairages contrastés et des constructions spatiales insolites qui intègrent le spectateur dans l'espace de la narration.
Albrecht Altdorfer, Décollation de Saint Jean-Baptiste (1512), gravure sur bois. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes.
Altdorfer joue aussi sur le format de ses estampes, allant du grand format jusqu'aux 40 petits bois (7.3x4.9 cm) de la Chute et Rédemption de l'humanité, qui reste une exception dans l'histoire de la gravure allemande de la Renaissance. Dès 1514, cette série fut reprise aussi bien dans l'enluminure et la sculpture, que dans la peinture et la gravure, de la Pologne à la France, en passant par le Tyrol et la Bavière.
Albrecht Altdorfer, Chute et Rédemption de l'humanité (vers 1513), bois gravés. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Les gravures sur bois des années 1512-1513 ont permis à Altdorfer d'expérimenter de nouvelles solutions formelles qu'il décline jusqu'à la fin de la décennie., en particulier pour le cycle de la légende de saint Florian.
Albrecht Altdorfer, Saint Florian roué de coups (vers 1520), huile sur bois. Prague, galerie nationale.
Altdorfer met au point un nouveau langage narratif, dont l'intensité dramatique est soutenue par des couleurs éclatantes et de puissants contrastes lumineux. Dans ses oeuvres sur papier comme dans ses tableaux, le maître multiplie les emprunts aux estampes d'après Mantegna, dont il devait posséder des tirages dans son atelier. Certaines figures, comme le groupe autour de la Vierge évanouie de la Descente de Croix, reviennent comme un leitmotiv dans ses oeuvres, religieuses ou profanes.
D'après Andrea mantegna, Descente de Croix (vers 1475-1480), burin. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques. / Albrecht Altdorfer, Crucifixion (vers 1520), huile sur bois. Budapest, musée des Beaux-Arts.
Albrecht Altdorfer, La Grande Crucifixion (vers 1515-1518), burin. Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques.
Albrecht Altdorfer, Le Christ prenant congé de sa mère (vers 1518-1520), huile sur bois. Londres, The National Gallery.
Maximilien Ier passa commande de publications richement illustrées qui devaient servir à prouver le caractère prestigieux et très ancien de la lignée des Habsbourg, et qui le présentaient comme l'incarnation d'un héros chevaleresque et d'un humaniste. Il a sut saisir l'intérêt et les potentialités de la technique de la gravure sur bois pour assurer une large diffusion de sa memoria. Les contenus des ouvrages, dictés par l'empereur, étaient mis en forme par un cercle restreint d'historiographes et d'érudits, tandis que la création des illustrations incombait à des équipes d'artistes, Albrecht Altdorfer fut le premier maître de renom à contribuer à ce travail de mémoire, avec les scènes de l'Historia (vers 1508) puis avec la série exceptionnelle des miniatures du Cortège triomphal (1512-1515).
Le cortège constitué de 139 planches, dont 39 exécutées d'après les dessins d'Altdorfer, était conçu pour se déployer en une frise de 80 mètres. Ce défilé qui n'a jamais eu lieu dans la réalité, montre combien l'empereur maîtrisait les registres de sa célébration personnelle. Achevé vers 1517-1519, il fit l'objet de plusieurs impressions jusqu'au XIXe siècle.
Albrecht Altdorfer, Cortège triomphal de Maximilien Ier : La Bataille navale et les maquettes de bateaux (vers 1512-1515), plume et encre brune, aquarelle et gouache sur parchemin. Vienne, Albertina.
Albrecht Altdorfer, Cortège triomphal de Maximilien Ier édition de 1570-1580, gravures sur bois. Paris, musée du Louvre, départements des arts graphiques.
Altdorfer répondit aussi à la commande du Conseil de Ratisbonne, en éxécutant ce tableau qui commémore la bataille de Charlemagne contre les Avars.
Albrecht Altdorfer, La Bataille de Charlemagne contre les Avars (1518), huile sur bois. Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum.
Altdorfer n'appartenait pas à une famille d'orfèvres comme Dürer, mais il possédait une belle collection de hanaps (récipient médiéval pour boire) et de gobelets précieux. Dans les années 1520, il grave au burin des motifs ornementaux ou des sujets mythologiques qui réinterprètent des estampes italiennes. Ces gravures étaient sans doute destinées aux orfèvres. Les effets de clair-obscur visent à souligner les formes renflées des gobelets, aiguières et présentoirs et à traduire le chatoiement de l'argent et de l'argent doré. Les créations d'Altdorfer ont séduit des orfèvres de Nuremberg comme Ludwig Krug (1490-1532).
Albrecht Altdorfer, Gobelet à couvercle et grotesques (1520-1525), eau-forte. Paris, musée du Louvre, départements des Arts graphiques. / Nuremberg, entourage de Ludwig Krug, Gobelet couvert sur pied (1530-1540), argent fondu, repoussé, ciselé, gravé, partiellement doré. Paris, musée des Arts décoratifs.
Altdorfer est un pionnier du paysage autonome : pour la première fois dans l'art occidental, il met sur le marché des tableaux, des aquarelles et des gravures où le paysage n'est plus le décor d'un récit biblique ou mythologique mais le sujet unique de l'oeuvre. Il ne s'agit pas de vues topographiques comme Dürer - sauf une - mais de paysages savamment composés, bien souvent dominés par la silhouette d'un épicéa aux branches tombantes couvertes de lichen.
Albrecht Dürer, Vue du val d'Arco (vers 1495), plume et encre brune, aquarelle et rehauts de brun, reprises à l'encre noire. Paris, musée du Louvre, départements des arts graphiques.
Albrecht Altdorfer, Le Danube près de Sarmingstein (1511), plume et encre noire. Budapest, musée des Beaux-Arts.
Albrecht Altdorfer, Paysage à l'épicéa et aux deux saules (peu vant 1520), eau-forte aquarellée. Vienne Albertina.
Au même moment, dans la ville voisine de Passau Wolf Huber (1485-1553) dessine également des paysages autonomes, à l'aquarelle et surtout à la plume et à l'encre noire. Une abondante production qu'Altdorfer a cherché à concurrencer en gravant à l'eau-forte une série de neuf paysages. Dürer n'exécuta qu'un seul paysage en eau-forte.
Wolf Huber, Le Mondsee avec le Schafberg (1510), plume et encre brune. Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum. / Paysage des Préalpes (1522), aquarelle et gouache. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin.
Albrecht Dürer, Paysage avec canon (1518), eau-forte. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques.
Les oeuvres d'Altdorfer eurent beaucoup de succès auprès des artistes de la jeune génération qui en adaptèrent la technique et le style, comme son frère Erhard Altdorfer, ou Sebald Beham (1500-1550), Augustin Hirschvogel (1503-1553) et Hans Lautensack (1520-1565).
Erhard Altdorfer, Paysage montagneux avec un village (vers 1520), eau-forte aquarellée. Vienne, Albertina.
Augustin Hirschvogel, Paysage avec un haut rocher et un château à gauche (1546), eau-forte. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques. / Paysage aux deux épicéas (vers 1543-1549), plume et encre brune. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des estampes.
Hans Lautensack, Vue d'une ville près d'une rivière (1553), eau-forte. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques.
Après les paysages à l'eau-forte, Altdorfer en réalisa à l'huile sur bois.
Albrecht Altdorfer, Paysage au château (1520-1525), huile sur parchemin collé sur bois. Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen.
Avec Wolf Huber, Altdorfer joue un rôle novateur dans le développement du dessin d'architecture autonome. Tous deux portent le titre d'architecte à partir de 1529, une charge essentiellement administrative. Ce sont leurs oeuvres graphiques et leurs peintures qui permettent de comprendre les liens qu'ils entretiennent avec l'architecture. Ils s'appuient sur des modèles italiens, dont certains éléments reviennent comme des leitmotivs (oculi zénithaux, roses, coquilles, caissons à rosettes). Huber, les associe à des architectures gothiques dans un espace rigoureux ; Altdorfer associe formes romanes, gothiques et Renaissance dans une perspective de biais. Il représenta aussi la synagogue de Ratisbonne. Un peu étonnant pour quelqu'un qui participa à la décision de sa destruction.
Wolf Huber, La Présentation au Temple (1518-1521), gravure sur bois. Paris, Bibliothèque nationale de France.
Albrecht Altdorfer, Sainte Famille à la fontaine (1512-1515), gravure sur bois. / Intérieur de la synagogue de Ratisbonne (1519), eau-forte. Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques.
A partir des années 1520, les nombreuses fonctions officielles remplies par Altdorfer semblent ralentir son activité artistique. Il abandonne la production de dessins autonomes destinés au marché pour se consacrer essentiellement à la peinture. En plus des tableaux dévotionnels, Altdorfer s'exerce dans le portrait, la scène de genre ou l'allégorie.
Cette exposition m'a beaucoup plu. Elle m'a rappelé l'exposition "L'Allemagne romantique" au Petit Palais en 2019. J'ai aussi pu consulter le catalogue de l'exposition, "Albrecht Altdorfer, maître de la Renaissance allemande, édition Lienart, 2020 (342p.)", dans deux bibliothèques parisiennes (la Bibliothèque Nationale de France et la bibliothèque Forney). Il contient 86 oeuvres largement expliquées. Mais, j'ai plutôt été déçue de la reproduction des oeuvres. On ne voit pas le grain du papier comme sur mes photos. C'est bien dommage !