La dernière exposition du musée d'Orsay avait pour thème la peinture suisse sur une courte période de 24 ans.
Elle y présentait une douzaine d'artistes qui ont vécus en France ou alors ils y ont été formé. 70 oeuvres étaient exposées dont la plupart n'avaient jamais été montrées en France.
Je vous partage la découverte de ces artistes inspirée des panneaux explicatifs de l'exposition et accompagnée de mes tableaux coups de coeur.
Les exemples de Ferdinand Hodler (Berne, 1853 - 1918, Genève) et de Giovanni Segantini (Arco, 1858 - 1899, Pontresina) sont décisifs pour toute une génération de peintres de vingt ans leurs cadets. Leur carrière est internationale. Ils apparaissent comme des figures majeures de la peinture et du symbolisme européens à la fin des années 1890. Segantini meurt prématurément. Hodler sera une source d'inspiration pour des peintres comme Amiet, Buri, Righini, Perrier.
Ferdinand HODLER, La Pointe d'Andey vue depuis Bonneville (1909), huile sur toile. Paris, musée d'Orsay.
J'ai beaucoup aimé le tableau de Segantini, pour la vivacité de ses couleurs.
Segantini est le mentor de Giovanni Giacometti (Stampa, 1868 - Glion-sur-Montreux, 1933). A la mort de son maître, Giacometti achève une de ses toiles, ce qui lui permet d'étudier sa touche divisionniste : des traits enchevêtrés de mille couleurs, plus ou moins épais. Fioritura, commencé avant la mort de Segantini est un exemple de fascination précoce du jeune peintre pour la manière de son maître. Cuno Amiet (Soleure, 1868 - Oschwand, 1961) partage cette attirance pour la lumière et ses effets colorés comme en témoigne le Grand Hiver. Après avoir travaillé en Allemagne et en France, Amiet et Giacometti reviennent en Suisse.
Les stries se voyaient et donnaient une impression de peinture en relief. J'ai zoomé pour voir tout ces détails. Et surtout ce petit skieur perdu au milieu d'une toile d'1m80 x 2m40 !
Il y avait aussi cet autoportrait de Giovanni Giacometti (père d'Alberto) qui était le tableau représentant l'exposition.
Giovanni GIACOMETTI, Autoportait devant un paysage hivernal (1899), huile sur toile. Genève, Musée d'Art et d'Histoire.
Le séjour de Cuno Amiet à Pont-Aven à partir de 1892 est déterminant. Ce village breton est depuis les années 1860 fréquenté par les artistes français et étrangers, attirés par une vie meilleur marché, les paysages, les habitants et leurs costumes traditionnels, ainsi que par le sentiment de fréquenter une région épargnée par l'industrialisation. Vers 1885, Gauguin et ses amis y créent des oeuvres caractérisées par des couleurs vives remplissant des formes simples cernées par un épais contour sombre. Amiet est fasciné par ce qu'il découvre et son opinion sur l'art en est bouleversé.
En 1908 à Zurich, une importante exposition présente les oeuvres de Van Gogh aux côtés de celles de peintres suisses. Un crittique d'art, Hans Trog, souligne le rôle d'Amiet et de Giacometti : leur peinture aux "accords de couleurs pures et éclatantes" en fait des "éducateurs" à l'art de Van Gogh. Une nouvelle génération de collectionneurs acquiert ainsi des oeuvres de Van Gogh et les font connaître en Suisse.
Cuno AMIET, L'Arlésienne copie d'après Vincent Van Gogh (1908), huile sur toile. Collection particulière.
Giovanni GIACOMETTI, Le pont de Langlois copie d'après Van Gogh (1906-1907), huile sur fibrociment. Collection PCC.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, l'industrialisation croissante de la Suisse provoque des bouleversements sociaux. De nombreux artistes fuient la vie trépidante des villes pour créer leur propre paradis à la campagne. Les peintres reprennent de façon neuve et variée des thèmes classiques. Amiet y voit une célébration du bonheur terrestre dans des oeuvres évoquant l'Art Nouveau (le Pommier). Giovanni Giacometti s'inspire des modèles traditionnels de la peinture classique italienne, pour célébrer le bonheur familial dans Maternité. L'enfance évocation traditionnelle de l'innocence est représenté par Martha Stettler (Berne, 1870 - Châtillon, 1945) dans son tableau La Toupie, qui préfère l'environnement des parcs parisiens à celui de la campagne.
La révolution industrielle entraîne chez certains un retour à une nature idéale, d'autres s'attardent plutôt sur l'angoisse qu'elles génèrent. L'étrangeté fait irruption dans la sphère intime lorsque les deux peintres bouleversent les codes traditionnels du portrait familial. Dans le Dîner, effet de lampe Félix Vallotton (Lausanne, 1865 - Neuilly-sur-Seine, 1925) anéantit l'image idéalisée de la famille par une atmosphère trouble et sinistre. Sigismund Righini (Stuttgart, 1870 - Zurich, 1937) figure respectée de la vie culturelle zurichoise pose un regard ironique, sur les portraits monumentaux et très colorés de sa propre famille : isolés les uns des autres, femme, enfants, père et mère apparaissent comme sur une scène de théâtre, cahcun conservant la pose qui lui a été attribuée, chacun faisant face au spectateur.
Félix VALLOTTON, Le Dîner, effet de lampe (1899), huile sur carton marouflé sur bois. Paris, musée d'Orsay.
Les expositions nationales suisses (en 1883 à Zurich, 1896 à Genève et 1914 à Berne) sont de véritables vitrines du patriotisme helvète. Une iconographie nationale s'y forge à travers la peinture alpine, tandis que l'accent est mis sur les identités régionales, les sujets populaires exaltant les coutumes d'une population rurale montrée en costumes traditionnels. Attirés par le mode de vie des paysans, des peintres quittent la ville pour la campagne. Ernest Biéler (Rolle, 1863 - Lausanne, 1948) évoque l'Art Nouveau et Max Buri (Berthoud, 1868 - Interlaken, 1915) utilise un jeu de couleurs franches et vives.
Ernest BIELER, Le Petit cheval rouge (1909), tempera et crayon sur papier contrecollé sur toile. Sion, musée d'art du Valais.
Ernest BIELER, Ramasseuse de feuilles (vers 1906-1909), aquarelle gouache et crayon sur papier marouflé sur carton. Sion, musée d'art du Valais.
Max BURI, Jeune fille de la vallée du Hasli (vers 1906), huile sur toile. Soleure, Kunstmuseum Solothurn.
Max BURI, Joueur d'accordéon en compagnie (1905-1906), huile sur toile. Liestal, Archäologie und Museum Baselland.
Avec les peintres Hans Emmenegger (Küssnacht-am-Righi, 1866 - Lucerne, 1940), Alexandre Perrier (Genève, 1862 - Genève, 1936) et Albert Trachsel (Nidau, 1863 - Genève, 1929), le paysage devient rêve, vision fantastique ou symbole d'harmonie. Basés sur une connaissance aigüe et précise de la nature, leurs tableaux la transfigurent par le jeu de couleurs irréelles, la stylisation des motifs et l'importance donnée aux effets de lumière. Cette approche symboliste renouvelle profondément la tradition du paysage helvète et celle de la peinture de montagne en Suisse et en Europe.
Hans EMMENEGGER, Château-rocher III (1901), huile sur toile sur un apprêt à la détrempe. Collection particulière.
Alexandre PERRIER, Le Lac Léman et le Grammont (1901), huile sur toile. Genève, MAH musées d'Art et d'Histoire.
Albert TRACHSEL, L'île des arbres en fleurs (1912-1913), huile sur toile. Soleure, Kunstmuseum Solothurn.
Fleurs, fruits, objets familiers : les motifs traditionnels de la nature morte restent attrayants pour les artistes comme pour les collectionneurs. Les peintres y déploient un nouveau vocabulaire artistique et se livrent à des expérimentations de forme, de couleur souvent intense et de composition.
Lacs, montagnes et autres éléments naturels sont ici simplifiés et réduits à l'essentiel, frôlant l'abstraction. Nos repères spatiaux traditionnels sont brouillés par la fragmentation du motif chez Emmenegger ou les éclatants couchers de soleil de Vallotton. Ces paysages des années 1910 se vident de toute présence humaine, même quand il s'agit de lieux normalement très fréquentés. Lignes, couleurs, formes dépassent la représentation du motif et du moment pour suggérer un univers, un au-delà insondable de la nature.
Hans EMMENEGGER, Reflet sur l'eau (petit bateau vapeur se reflétant dans l'eau) 1908-1909, huile sur toile. Collection Peter Suter.
Félix VALLOTTON, Coucher de soleil, ciel orange (1910), huile sur toile. Winterthour, Kunstmuseum Winterthur.
Excepté Félix Vallotton, tout ces artistes m'étaient inconnus. Ce fut de belles découvertes.
Le catalogue de l'exposition "Modernités Suisses, musée d'Orsay, ed. Flammarion, 2021 (253p.)" est très bien. On retrouve les 70 oeuvres exposées. Il nous donne une vraie biographie des artistes (pas un simple résumé de 5 lignes lu au cours de l'exposition). Et, nous explique sur plusieurs pages tout le contexte de l'art en Suisse au XIX et XXème siècle.