Cet automne, le Petit Palais mettait à l'honneur son cabinet d'arts graphiques qui compte plus de 20 000 estampes. Cette riche collection provient du don du collectionneur Eugène Dutuit en 1902, puis des estampes sont collectées par le directeur Henry Lapauze en 1908 pour la création du musée de l'Estampe Moderne. Editeurs, collectionneurs et artistes enrichiront à leur tour la collection.
L'exposition nous fait découvrir à travers une sélection de 180 feuilles cette riche collection allant du XVe au XXe siècle. Je vous en fais un résumé d'après les panneaux explicatifs de l'exposition et les oeuvres majeures.
Eugène Dutuit (1807-1886) est un célèbre collectionneur d'estampes du XIXe siècle. Il a acheté ses premières gravures dans les années 1830. Il a réuni l'intégralité de l'oeuvre des plus grands artistes (Albrecht Dürer, Jacques Callot). Passionné de Rembrandt il a rassemblé plus de 350 eaux-fortes de l'artiste.
Eugène Dutuit acquiert très tôt des estampes d'Albrecht Dürer lors de grandes ventes publiques. Il parvient ainsi à rassembler la quasi-totalité de l'oeuvre gravé de l'artiste allemand, il se focalise sur des épreuves de très bonne qualité et d'origine prestigieuse comme le célèbre Rhinocéros, Mélencolia, La Grande Fortune ou séries de l'Apocalypse et Entrelacs. Un collectionneur autre qu'Eugène Dutuit pouvait posséder ses oeuvres mais d'une moindre qualité.
En effet, une estampe n'est pas unique. Elle est tirée en plusieurs exemplaires (ce qu'on appelle une épreuve) et a pour but d'être diffusée et vendue par des marchands d'art. La qualité dépend de la technique d'impression. La majeure partie des oeuvres de Dürer était réalisée au burin et gravée sur bois.
Albrech Dürer, Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse - Saint Michel terrassant le dragon - La Prostituée de Babylone, L'Apocalypse suite de 15 pièces (vers 1496-1497), gravure sur bois. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Les Quatre Femmes nues dit aussi les Quatre Sorcières (1497), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Le Monstre marin, dit aussi l'Enlèvement d'Amymoné (1498), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Hercule à la croisée des chemins, dit aussi Les Effets de la jalousie (vers 1498-1499), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Némésis, dit aussi La Grande Fortune (vers 1501-1502), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Adam et Eve, ou la Chute de l'homme (1504), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Albrecht Dürer, Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Au XIXe siècle, le graveur lorrain Jacques Callot occupait une grande place dans les cabinets des collectionneurs, aux côtés de Rembrandt et Dürer, dont il était considéré comme le successeur et le prédécesseur. L'ensemble réuni par Eugène Dutuit est presque exhaustif, on y trouve les suites célèbres de Callot : Gueux, Bohémiens, Caprices, Balli di Sfessania... Une fois de plus, on observe la qualité des épreuves. Jacques Callot utilisait la technique de l'eau-forte.
Jacques Callot, Les Deux Pantalons (vers 1616-1617), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Le Berger jouant de la flûte - Les Danseurs à la flûte et au tambourin Série Les Caprices (1617), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Le Pantalon, ou Cassandre - Le Zani, ou Scapin, série Les Trois Pantalons (vers 1618-1619), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Le Gentilhomme au manteau bordé de fourrures tenant ses mains derrière le dos - Le Guerrier au chapeau orné d'une grande plume, série La Noblesse (vers 1620-1623), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Bello Sguardo-Couiello / Razullo-Cucurucu, série des Balli di Sfessania (vers 1622), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Le Mendiant aux béquilles coiffé d'un chapeau et vu de dos, série Les Gueux (vers 1622-1623), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Les Bohémiens en marche : l'arrière-garde ou le départ / La Halte des Bohémiens : les apprêts du festin, série Les Bohémiens (vers 1621-1625), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, La Foire de Gondreville (vers 1625), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, Dévastation d'un monastère - La Pendaison - L'Attaque de la diligence, série Les Grandes Misères de la guerre (1633), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacques Callot, La Tentation de saint Antoine (1635), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Martin Schongauer (1445-1491), La Tentation de saint Antoine (vers 1470-1475), burin. Petit Palais, collection Eugène Dutuit, 1902.
Eugène Dutuit considérait l'oeuvre de Rembrandt comme le joyau de sa collection. Il le découvre à l'âge de 19 ans lors d'un voyage en Hollande. Puis, il acquit au fil des ans plus de 350 estampes d'une qualité exceptionnelle lors de ventes aux enchères et chez des marchands d'estampes renommés. Sa collection a contribué à la connaissance de Rembrandt en France. En 1883, Eugène Dutuit publie un catalogue de l'oeuvre gravé de Rembrandt illustré d'héliogravures, considéré comme une référence pour les études sur l'artiste.
Rembrandt, Gueux assis se chauffant les mains (1520), eau-forte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, Le Vendeur de mort-aux-rats (1632), eau-forte sur papier européen. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, Rembrandt appuyé (1639), eau-forte sur papier filigrané. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, La Chaumière et la grange à foin (1641), eau-forte sur papier filigrané. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, La femme devant le poêle (1658), eau-forte, burin et pointe sèche sur papier filigrané. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, Jupiter et Antiope. La grande planche (1659), eau-forte, burin et pointe sèche sur papier Japon. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt, La Femme à la flèche (1661), eau-forte, burin et pointe sèche sur papier filigrané. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Rembrandt était aussi un collectionneur d'estampes. Voici quelques oeuvres acquises par Eugène Dutuit :
Lucas de Leyde (1494-1533), Le Golgotha dit aussi le Grand Calvaire (1517), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jean Muller (1571-1628), Portrait d'Hendrik Goltzius (1558-1617) d'après Goltzius (vers 1617), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Jacobus Neffs (1604-1667) d'après Anton van Dyck (1599-1641), Le Peintre Martin Ryckaert (1636), burin. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Eugène Dutuit portait beaucoup d'intérêt aux techniques de gravure à l'eau-forte et aquatinte utilisées par Francisco de Goya. Dutuit n'a pas cherché à réunir l'ensemble de l'oeuvre gravé de Goya. Mais, il possédait des estampes rares comme Les Ménines et des pièces tirées par Goya lui-même de l'album Les Caprices.
Francisco de Goya, Les Ménines (1778-1785), eau-forte, pointe sèche et retouches à la pierre noire. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Francisco de Goya, Ils s'envolèrent, série Les Caprices (1796-1799), eau-forte, pointe sèche et aquatinte. Petit Palais, achat du legs Dutuit, 1999.
Francisco de Goya, L'Amour et la Mort, série Les Caprices (1796-1799), eau-forte, lavis d'aquatinte et burin. Petit Palais, achat du legs Dutuit, 1999.
Francisco de Goya, Le sommeil de la raison engendre des monstres, série Les Caprices (1799), eau-forte et aquatinte. Petit Palais, collection Dutuit, 1902.
Francisco de Goya, Disparate de niais, série Les Disparates (1816-1823), eau-forte et auqatinte brunie sur vélin. Petit Palais, achat du legs Dutuit, 1999.
Les frères Dutuit ont assuré la place de l'estampe ancienne. Mais la place de l'estampe contemporaine est faite grâce à Henry Lapauze (1867-1925), conservateur puis directeur du Petit Palais. Le 27 Juin 1908, il inaugure le "musée de l'estampe moderne" aménagé au rez-de-chaussée du Petit Palais et accueille la collection Dutuit. En quelques jours 3 000 estampes modernes sont réunies grâce à une collecte initiée par Lapauze. Il sollicite les artistes, leurs familles et amis, les collectionneurs (Henri Béraldi), ainsi que les marchands et éditeurs d'estampes (Georges Petit). Le fond s'enrichit par des estampes éditées par la Ville de Paris et des achats ultérieurs.
Félix Bracquemond (1833-1914), Edmond de Goncourt (1881), eau-forte, pointe sèche, roulette et brunissoir sur papier Japon. Petit Palais, don Bracquemond, 1908.
Léopold Massard (1812-1889) d'après Léon Bonnat, Portrait de Bonnat (1876-1889), eau-forte sur papier Chine appliqué. Petit Palais, don Henri Béraldi, 1908.
Jules Jacquet (1841-1913) d'après Léon Bonnat, Le Triomphe de l'Art (vers 1898), pierre noire, sanguine, fusain et rehauts de craie blanche sur papier. Petit Palais, don Jules Jacquet, 1908.
La majorité des dons émanent souvent d'artistes et ayants-droit. C'est leur manière de témoigner de l'intérêt pour le musée et d'y faire exposer des oeuvres afin de se faire connaître. Ces artistes sont les chroniqueurs d'un Paris qui se métamorphose. La capitale regorge de lieux de divertissement, Parisiens et Parisiennes deviennent des acteurs.
Félix Buhot (1847-1898), Une matinée d'hiver au quai de l'Hôtel-Dieu (1876), eau-forte et pointe sèche, aquatinte sur papier vélin. Petit Palais, don Mme Buhot (Henrietta Johnston), 1908.
Félix Buhot, La Place Pigalle (1878), eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier. Petit Palais, don Mme Buhot, 1908.
Félix Buhot, L'Hiver à Paris (1879), eau-forte, aquatinte, pointe sèche et roulette sur papier. Petit Palais, don Mme Buhot, 1908.
Henri de Toulouse Lautrec (1864-1901), Une redoute au Moulin-Rouge (1893), lithographie au crayon et au crachis sur papier. Petit Palais, don Alphonse Albert, 1908.
Edgar Chahine (1874-1947), Les Poids (1902), eau-forte, aquatinte et pointe sèche sur papier Japon. Petit Palais, don Edgar Chahine, 1908.
Edgar Chahine, Le Tombereau déchargé ou les Terrassiers (1904), eau-forte et vernis mou sur papier Japon. Petit Palais, don Edgar Chahine, avril 1908.
Henri Lapauze valorise l'estampe en couleurs au sein du musée de l'Estampe moderne. Le marchand et éditeur Georges Petit (1856-1920) met en valeur ces oeuvres dans ses catalogues. Il fit don d'un grand nombre de paysages pour le musée.
Frits Thaulow (1847-1906), Hiver en Norvège (entre 1900 et 1910), eau-forte en couleurs et rehauts d'aquarelle et de crayon graphite sur papier vélin. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, 1908.
Henri Jourdain (1864-1931), Le Chemin par temps de pluie ou Sous l'averse (entre 1900 et 1910), vernis mou, eau-forte et aquatinte en couleurs sur papier. Petit Palais, don Galeries Georges Petit, 1908.
Le fond s'accroît régulièrement par des dons et des achats. Depuis 2013, 1289 estampes ont rejoint le Petit Palais, dont la majorité issues du fonds d'atelier de Pierre Roche (1855-1922) offert par sa descendance en 2015. Et du legs de 42 oeuvres du conservateur et collectionneur Harley Hall Preston.
Anders Zorn (1860-1920), Albert Besnard et son modèle (1896), eau-forte sur papier. Petit Palais, achat Galerie Nicolaas Teeuwisse, 2016.
Charles Méryon (1821-1868), L'Ancienne Morgue (1854), eau-forte sur papier. Petit Palais, legs Harley Hall Preston, 2020.
Charles Méryon, Saint-Etienne-du-Mont (1852), eau-forte sur papier bleu. Petit Palais, legs Harley Hall Preston, 2020.
J'apprécie beaucoup les estampes. Cette exposition m'a permis d'en revoir des très connues et d'en découvrir d'artistes célèbres pour leur peinture. Le catalogue de l'exposition : "Trésors en noir & blanc - Estampes du Petit Palais de Dürer à Toulouse-Lautrec, Ed. Paris Musées, 2023, (144 p.)" est un petit livre (22x28 cm), imprimé sur du papier blanc qui fait bien ressortir les estampes. Il reprend les thèmes de l'exposition, mais il y a très peu d'oeuvres reproduites (même pas la moitié).