Le musée du Luxembourg vient de rendre hommage à Tarsila do Amaral (1886-1973), peintre brésilienne, représentante du modernisme brésilien. Elle s'initia au cubisme dans les ateliers de Paris. Et elle développa le mouvement anthropophagique à São Paulo. Cette exposition sera présentée au musée Guggenheim de Bilbao du 21/02 au 01/06/2025. Je vous résume cette exposition à partir des panneaux explicatifs et accompagné des oeuvres représentatives.
Tarsila do Amaral entreprend son premier voyage d'études à Paris en 1920, reproduisant le parcours des peintres académiques brésiliens. Pendant son absence, en février 1922, la "Semaine d'Art moderne" donne une nouvelle impulsion à la scène artistique de São Paulo : jeunes écrivains, musiciens et peintres prônent une avant-garde affranchie des modèles importés, sans renier leur cosmopolitisme. De retour à São Paulo, en juin 1922, Tarsila participe à ce renouveau moderniste aux côtés de la peintre Anita Malfatti et des écrivains Paulo Menotti del Picchia, Mário de Andrade et Oswald de Andrade, avec qui elle forme le Groupe des Cinq. En 1923, elle retourne à Paris et fréquente les ateliers de Fernand Léger, Albert Gleizes et André Lhote, où elle va appréhender le cubisme comme une "école d'invention".
Tarisila do Amaral, Meu Ateliê (Rua Vitória) [Mon atelier (rue Vitória)] 1918, huile sur toile. São Paulo, collection Ivani et Jorge Yunes.
Tarsila do Amaral, Vista do hotel de Paris [Vue de l'hôtel de Paris], 1920, huile sur toile. São Paulo, collection Michele Behar.
Tarsila do Amaral, Etude pour la Tasse, 1923, mine de plomb sur papier. São Paulo, Coleção de Arte da Cidade.
Tarsila do Amaral, Composição cubista (Mãos ao piano) [Composition cubiste (mains sur le piano)], 1923, aquarelle et mine de plomb sur papier. Rio de Janeiro, collection Max Perlingeiro.
En tant qu'artiste brésilienne à Paris, Tarsila doit faire avec des stéréotypes pour frayer son chemin dans un domaine de l'art dominé par les hommes. Son physique et son style vestimentaire ne passent pas inaperçus, la critique attend d'elle et de sa peinture, une "fraîcheur exotique" et une "délicatesse toute féminine". Tarsila joue de son apparence pour construire son personnage inédit : de femme artiste moderne brésilienne. Dans ses autoportraits, elle va contourner les règles établies. Telle une "Caipirinha habillée par Poiret" (selon les vers que lui dédie son compagnon : Oswald de Andrade), elle se veut la porte-parole d'un "Brésil profond".
Proche d'Oswald de Andrade, Blaise Cendrars rencontre Tarsila do Amaral à Paris en 1923. Cendrars est l'un des premiers défenseurs de la peinture de Tarsila. Grâce à lui, elle se liera avec Jean Cocteau, Constantin Brancusi et Fernand Léger entre autres.
Tarsila do Amaral, Retrato de Oswald de Andrade [Portrait d'Oswald de Andrade], 1923, huile sur toile. São Paulo, Museu de Arte Brasileira.
Tarsila do Amaral, Auto-retrato (Manteau rouge) [Autoportrait (Manteau rouge)], 1923, huile sur toile. Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes.
Tarsila do Amaral, Caipirinha [Petite caipira], 1923, huile sur toile. Collection Luiz Harunari Goshima.
Tarsila do Amaral, Auto-retrato I [Autoportrait I], 1924, huile sur carton sur panneau aggloméré. São Paulo, Acervo Artistico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.
Benedito Duarte, Portrait de Tarsila do Amaral, vers 1926, épreuve gélatino-argentique. São Paulo, Biblioteca Municipal Marió de Andrade.de
Catalogue de l'exposition "Tarsila" galerie Percier, 1926. Paris, Centre Pompidou. / Catalogue de l'exposition "Tarsila", Rio de Janeiro, Palace Hotel, 1929. Rio de Janeiro, collection Pedro Corrêa do Lago.
Tarsila do Amaral, Etude pour l'affiche d'une conférence de Blaise Cendrars à São Paulo, 1924, mine de plomb et encre de Chine sur papier. São Paulo, Pinacoteca do Estado de São Paulo.
Catalogue de l'exposition "Brancusi", New York, Brummer Gallery dédicacé par Brancusi à Tarsila do Amaral et Oswald de Andrade, 1926. Rio de Janeiro, collection Pedro Corrêa do Lago.
Lors de son séjour à Paris, Tarsila prend conscience du charme exotique et tropical qu'exerce son pays sur ses amis. Le cubisme, lui offre une nouvelle méthode d'analyse. Dès 1924, elle part à la "redécouverte" de la dynamique métropole São Paulo, du paysage de Rio de Janeiro et de la région du Minas Gerais, riche de vestiges coloniaux et baroques. Tarsila "décortique" au crayon et à l'encre ces environnements si différents les uns des autres. Ces éléments transcrits sous forme de lignes et formes géométriques, donnent vie à son nouvel alphabet visuel.
Tarsila do Amaral, Rio de Janeiro, 1923, huile sur toile. São Paulo, Fundação Cultural Ema Gordon Klabin.
Tarsila do Amaral, E.F.C.B (Estrada de ferro central do Brasil) [Chemiin de fer central du Brésil], 1924, huile sur toile. Museu de Arte Contemporãnea de Universidade de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Palmeiras [Palmiers], 1925, huile sur toile. São Paulo, collection Evelyn et Ivoncy Ioschpe.
Tarsila do Amaral, Romance, 1925, huile sur toile. São Paulo, Acervo da Casa Guilherme de Almeida - Governo de Estado de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Paisagem com vagão de trem [Paysage avec wagon de train], vers 1924, aquarelle et encre de Chine sur papier.
Lorsqu'elle représente des personnages, Tarsila fait face à un double défi : répondre à la demande d'exotisme de Paris et construire un imaginaire national et moderne fondé sur le métissage des cultures indigène, portugaise et africaine du peuple brésilien. Des afro-descendants sont représentés dans ses oeuvres de 1924 et 1925, lorsqu'elle illustre Pau Brasil d'Oswald de Andrade. Des descriptions idylliques des favelas et des scènes de carnaval, associées aux couleurs vives que Tarsila qualifie de "populaires", illustrent la quête d'un primitivisme autochtone. Trente-sept ans après la fin de l'esclavage, le Brésil n'atteint pas l'harmonie idéale décrite par l'artiste.
Tarsila do Amaral, O Mamoeiro [Le papayer], 1925, huile sur toile. São Paulo, Coleção de Artes Visuais do Instituto de Estudos Brasileiros.
Tarsila do Amaral, Vendedor de frutas [Vendeur de fruits], 1925, huile sur toile. Rio de Janeiro, Museu de Arte Moderna, Collection Gilberto Chateaubriand.
Tarsila do Amaral, Barco [Bateau], illustration pour Pau Brasil d'Oswald de Andrade, Paris, Au sans pareil, p.101, 1925, encre de Chine sur papier. São Paulo, Coleção de Arte da Cidade.
Tarsila do Amaral, Fazenda [Ferme], illustration pour Pau Brasil d'Oswald de Andrade, Paris, Au sans pareil, p.35, 1925, encre de Chine sur papier. São Paulo, Coleção de Arte da Cidade.
Tarsila do Amaral, Carnaval em Madueira [Carnaval à Madureira], 1924, huile sur toile. São Paulo, Fundação José e Paulina Nemirovsky.
Tarsila do Amaral, A Cuca [La Cuca], 1924, huile sur toile. Paris, Centre national des arts plastiques, en dépôt au musée de Grenoble.
Tarsila do Amaral, Religão brasileira I [Religion brésilienne I], 1927, huile sur toile. São Paulo, Acervo Artistico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Batizado de Macunaíma [Baptême de Macounaïma], 1956, huile sur toile. São Paulo, collection Sonia Samaja.
D'abord vue comme un hommage moderniste à la population afro-brésilienne, puis pointée du doigt comme illustration des stéréotypes racistes et sexistes des sociétés brésiliennes et françaises des années 1920, cette oeuvre n'a pas fini d'interroger le public. Tarsila a dit s'être inspirée du souvenir d'une esclave qui habitait la fazenda familiale, et la feuille de bananier suggère un environnement tropical. Elle l'a peint à Paris et la titre "La Négresse" peut-être en écho à la Négresse blanche de Brancusi sculptée la même année. En tant qu'icône primitive et moderne, Blaise Cendrars choisit Tarsila pour illustrer son recueil de poèmes consacré à son voyage brésilien.
Tarsila do Amaral, Etude pour A Negra [La négresse], 1923, encre de Chine sur papier. São Paulo, Coleção de Arte da Cidade.
Tarsila do Amaral, A Negra [La Négresse], 1923, huile sur toile. São Paulo, Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Sans titre, projet d'illustration pour Feuilles de route de Blaise Cendrars, vers 1924, encre sur papier. Berne, Bibliothèque nationale suisse.
En 1928, la figure de l'Abaporu (en indigène :"Homme qui mange[un autre homme]") donne naissance au mouvement "anthropophage". Cela fait référence à la pratique indigène de dévoration de l'autre dans le but d'en assimiler les qualités. Délaissant la description de sujets populaires et les formes cubiques, les oeuvres de Tarsila sont plus symboliques que narratives. Ces peintures, qu'elle qualifie de "brutales et sincères" échappent à tout code convenu : les éléments naturels et architecturaux se confondent dans des paysages évocateurs qui transportent le public vers des dimensions magiques ou oniriques. Les dessins se peuplent de personnages aux pieds énormes, plantes enflées et animaux étranges qu'aucun naturaliste ne pourrait classer.
Tarsila do Amaral, Distância [Distance], 1928, huile sur toile. São Paulo, Fundação José e Paulina Nemirovsky.
Tarsila do Amaral, Calmaria II [Bonace II], 1929, huile sur toile. São Paulo, Acervo Artístico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Urutu, 1928, huile sur toile. Rio de Janeiro, Museu de Arte Moderna, collection Gilberto Chateaubriand.
Tarsila do Amaral, O Touro (Boi na floresta) [ Le taureau (boeuf dans la forêt)], 1928, huile sur toile. Salvador de Bahia, Museu de Arte Moderna de Bahia.
Tarsila do Amaral, Bicho com triângulo [Animal avec triangle], 1930, mine de plomb sur papier. São Paulo, collection particulière.
Tarsila do Amaral, Paisagem com bicho antropofágico III [Paysage avec animal anthropophagique III], vers 1930, crayon de couleur et pastel sur papier. São Paulo, collection Marta et Paulo Kuczynski.
Tarsila do Amaral, Cidade (A Rua) [Ville (la rue)], 1929, huile sur toile. São Paulo, collection Jones Bergamin.
Fin 1929, séparée d'Oswald de Andrade, Tarsila subit le krach boursier de New-York : ses propriétés sont hypothéquées, elle doit s'habituer à un mode de vie modeste. En 1931, elle voyage en URSS avec son nouveau compagnon Osório César, jeune médecin et intellectuel de gauche, et elle s'intéresse au modèle économique et social du gouvernement soviétique. De retour au Brésil, son voyage lui coûte un mois de prison et ses peintures vont suivre le "réalisme social". Les classes populaires évoquées par des silhouettes dans ses oeuvres des années 1920 deviennent de vrais acteurs de fresques sociales et les couleurs vives vont laisser place à des tons sobres. Dès 1937, la dictature relègue les artistes femmes à des thèmes intimistes. Mais, Tarsila continue d'exposer le monde du travail du milieu rural et de la condition féminine avec un regard critique ou poétique.
Tarsila do Amaral, Etude pour Operários [Ouvriers], 1933, mine de plomb sur papier. São Paulo, collection Rose et Alfredo Setubal.
Tarsila do Amaral, Operários [Ouvriers], 1933, huile sur toile. São Paulo, Acervo Artistico-Cultural dos Palácios do Governo do Estado de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Trabalhadores [Travailleurs], 1938, huile sur toile. São Paulo, Banco Central do Brasil, en dépôt au Museu de Arte de São Paulo.
Tarsila do Amaral, Lenhador em repouso [Bûcheron au repos], 1940, huile sur toile. Fortaleza, collection Airton Queiroz.
Tarsila do Amaral, Terra [Terre], 1943, huile sur toile. Rio de Janeiro, succession Zoé Noronha Chagas Freitas.
Tarsila do Amaral, Costureiras [Couturières], 1950, huile sur toile. São Paulo, Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo.
Dans les années 1950, Tarsila a un regard rétrospectif sur son oeuvre, elle actualise les motifs de ses compositions antérieures. Toujours à l'affut des évolutions de son environnement, Tarsila reproduit les transformations du paysage urbain brésilien, notamment de São Paulo et ses gratte-ciel bleu-gris surplombant vieilles maisons et végétation tropicale.
Tarsila do Amaral, Vilarejo com ponte e mamoeiro [Village avec pont et papayer], 1953, huile sur toile. Collection particulière.
Tarsila do Amaral, A Metrópole [La Métropole], 1958, huile sur toile. São Paulo, collection Maria Bernadette Ortiz Nascimento.
Tarsila do Amaral, Paisagem com flores rosas e roxas [Paysage avec des fleurs roses et violettes], 1963, huile sur toile. Rio de Janeiro, collection João Roberto Marinho.
Tarsila do Amaral, Paisagem com quinze casas [Paysage avec quinze maisons], 1965, São Paulo, collection Marcos Ribeiro Simon.
Tarsila do Amaral, Passagem de nível III [Passage à niveau III], 1965, huile sur toile. Rio de Janeiro, collection Karin et Roberto Irineu Marinho.
Cette exposition fut une belle découverte. Les couleurs vives utilisées par l'artiste, faisaient oublier la morosité hivernale. Le catalogue "Tarsila do Amaral, Ed. Musée du Luxembourg - RMN, 2024, (208 p., 160 ill.)", est un petit livre (29x24 cm) imprimé sur du papier glacé qui met bien en valeur les oeuvres. Toutes les oeuvres exposées sont reproduites et indexées par genre et date de création.
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