Le musée Marmottan Monet vient de consacrer une exposition au trompe-l'oeil. Je pensais que ce terme n'était attribué qu'à des grandes fresques murales exécutées sur des immeubles. Mais non, le trompe-l'oeil existe depuis 1520 à travers des tableaux qui doivent s'intégrer à l'environnement dans lequel ils sont présentés, le sujet figure en grandeur nature et la signature de l'artiste est cachée. Le parcours de l'exposition est chronologique, je vous la résume illustrée des oeuvres coup de coeur.
L'Antiquité définit la peinture comme moyen d'imiter la peinture. Deux peintres grecs : Zeuxis et Parrhasius se sont lancer ce défi : l'un en dupant des oiseaux par l'image de raisins, l'autre avec un rideau peint. Le peintre français, Nicolas de Largillierre rend hommage à Zeuxis avec son tableau Deux grappes de raisin. La période médiévale se préoccupe peu des jeux optiques, mais ils réapparaissent à la Renaissance. Certains artistes conçoivent de véritables décors en trompe-l'oeil. Au début du XVIe siècle, la figuration illusionniste d'objets du quotidien séduit collectionneurs et amateurs. L'apogée des recherches menées par les artistes se fait aux Pays-Bas au XVIIe siècle. A travers la peinture à l'huile, la perspective, les effets de lumière, l'artiste rivalise avec la réalité. L'artiste flamand, Cornelis Norbert Gijsbrechts, peintre de la cour de Copenhague au service de Frédéric III et Christian V, conçoit pour eux des trompe-l'oeil d'une grande maîtrise.
Cornelis Norbertus Gijsbrechts (vers 1610 - après 1675), Armoire en trompe-l'oeil (1665), huile sur toile. Rouen, musée des Beaux-Arts.
Cornelis Norbertus Gijsbrechts, Trompe-l'oeil (1665), huile sur toile. Paris, musée Marmottan Monet.
Franciscus Gijsbrechts (1649- après 1676), Vanité (2ème moitié du XVIIe siècle), huile sur toile. Rennes, musée des Beaux-Arts.
Nicolas de Largillierre (1656-1746), Deux Grappes de raisin (1677), huile sur panneau. Paris, Fondation Custodia.
Franz Rösel von Rosenhof (1626-1700), Trompe-l'oeil avec un singe capucin dans sa caisse, dit aussi Le Singe effronté (dernier quart du XVIIe siècle), huile sur toile. Paris, collection Farida et Henri Seydoux.
Au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, dans la production des natures mortes illusionnistes, les trophées de chasse et les quodlibet trouvent leur place dans les intérieurs aisés. Louis XV sollicite Jean-Baptiste Oudry, peintre du roi, pour reproduire ses prouesses à la chasse à courre. Le peintre joint aux côtés des animaux un cartellino (petit papier froissé relatant l'histoire du trésor débusqué). Le quodlibet qui peut se traduire par "ce qu'il vous plaît" met en scène un désordre organisé. Des rubans ou des lanières sont cloués sur des planches de sapin retenant des objets (lettres, bésicles, oeuvres d'art...). A travers les documents imités, les artistes pouvaient y dissimuler, certains messages que le spectateur s'amuse à reconstituer.
Jean-Bapstiste Oudry (1686-1755), Tête bizarre d'un cerf pris par le roi dans la forêt de Compiègne le 3 juillet 1741 (1741), huile sur toile. Paris, musée du Louvre.
Jean Antione Houdon (1741-1828), La Grive morte (vers 1775), bas relief en marbre. Collection particulière.
Jean François de Le Motte (1635-1685), Trompe-l'oeil (2ème moitié du XVIIe siècle), huile sur toile. Dijon, musée des Beaux-Arts.
Charles Bouillon (actif à Paris entre 1704 et 1707), Plis et objets en trompe-l'oeil (1704), huile sur toile. Collection particulière.
Cristoforo Munari (1667-1720), Trompe-l'oeil aux instruments du peintre et aux gravures (avant 1715), huile sur toile. Paris, collection Farida et Henri Seydoux.
Gaspard Gresly (1712-1756), Portes de bibliothèque (librairie), recto et verso (vers 1750), huiles sur toile marouflée. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou.
Johann Caspar Füssli (1706-1782), Quodlibet avec portraits de contemporains et têtes anciennes (vers 1757), huile sur toile. Suisse, Trogen, Kantonsbibliothek Appenzell Ausserrhoden.
Antonio Cioci (Florence, actif de 1750 à 1792), Nature morte en trompe-l'oeil avec un autoportrait (vers 1771), huile sur toile. Florence, Opificio, delle Pietre Dure.
Ecole Française, Trompe-l'oeil avec des instruments d'écriture, une estampe de Jacques Callot et des besicles / Trompe-l'oeil avec des instruments d'écriture, une estampe de Jacques Callot et des ciseaux (vers 1780-1800), huile sur toile. Waddeson, famille Rotschild.
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820), Trompe-l'oeil (1785), huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts.
A partir de 1748, les fouilles archéologiques sur le site de Pompéi vont créer un véritable engouement pour tout ce qui rappelle l'antique. Le néoclacissisme naît et se diffuse dans la mode et les arts. L'illusion se révèle à travers des oeuvres de Piat Joseph Sauvage imitant des bas-reliefs. La peinture en trompe l'oeil se définit donc aussi comme élément de décor architecturé. Dominique Doncre est l'un des plus grands spécialistes du décor en trompe-l'oeil et en grisaille.
Anne Vallayer-Coster (1744-1818), Trompe-l'oeil avec une faunesse et des putti (1774) / Trompe-l'oeil aux putti jouant avec une panthère ou Le Printemps (1776), huiles sur toile. Collection particulière.
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820), Génies funèbres (1783) / Deux Amours lisant (vers 1800) / Quatre enfants jouant avec un oiseau (1803), huile sur toile. Arras, musée des Beaux-Arts.
Piat Joseph Sauvage (1744-1818), Scène mythologique (vers 1800), huile sur toile. Paris, musée Marmottan Monet.
Au cours du XVIIIe siècle, la gravure est à son apogée en France. Plusieurs artistes : Gaspard Gresly, Dominique Doncre, Etienne Moulineuf et Louis Léopold Boilly peignent des éléments ou des oeuvres entières en grisaille. Ces gravures feintes sont fixées sur une planche de sapin brut peinte en trompe-l'oeil. Les sujets représentés rendent hommage à des maîtres de l'histoire de l'art comme le peintre hollandais Frans Hals ou le graveur lorrain Jacques Callot.
Gaspard Gresly (1712-1756), Trompe-l'oeil à la gravure de Bouchardon au verre brisé (après 1738), huile sur toile. Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.
Gaspard Gresly, Trompe-l'oeil à l'almanach, aux gravures et à la bourse (1739), huile sur toile. Béziers, musée des Beaux-Arts.
Gaspard Gresly, Trompe-l'oeil à la gravure du Rieur d'après Frans Hals (vers 1740), huile sur toile. Besançon, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie.
Gaspard Gresly, Trompe-l'oeil avec une gravure de Callot (après 1750), huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du monastère royal de Brou.
Ecole Française, Trompe-l'oeil à la gravure d'après un autoportrait de Maurice Quentin de La Tour (1742), huile sur toile. Collection Kugel.
Etienne Moulineuf (1706-1789), Trompe-l'oeil au verre cassé d'après le Bénédicité de Jean Siméon Chardin (après 1744), huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du monastère royal de Brou.
Guillaume Dominique Doncre (1743-1820), Trompe-l'oeil aux putti : panneau au putto dessinant (milieu du XVIIIe siècle), huile sur toile. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou.
Jean Valette-Falgores, dit Valette-Penot (1710-1777), Sainte Famille (vers 1770), huile sur toile. Montauban, musée Ingres-Bourdelle.
Jean Pillement (1728-1808), Trompe-l'oeil avec un ruban turquoise devant un paysage de la campagne portugaise (vers 1780-1800), huile sur toile. Paris, collection Farida et Henri Seydoux.
Louis-Léopold Boilly (1761-1845), Trompe-l'oeil : Ah ! Ca ira, grisaille à l'imitation de l'estampe, dit aussi Mère jouant avec ses enfants ou L'Oiseau chéri (vers 1789-1793), huile sur toile. Saint-Omer, musée Sandelin.
Entre les XVIIe et XVIIIe siècles, le goût pour le trompe-l'oeil en céramique connaît un véritable succès à travers toute l'Europe grâce à des manufactures prestigieuses : Meissen en Allemagne, Sceaux et Niderviller en France. Au XIXe siècle, Avisseau fait renaître les secrets du céramiste Bernard Palissy qui peupla ses plats d'animaux et insectes en relief.
10) Atelier parisien post palisséen, Plat ovale à décor de rustiques (1ère moitié du XVIIIe siècle), terre cuite à glaçure plombifère. Paris, musée Gustave Moreau. 11) Léon Antoine Brard (1830-1902), Assiette de moules et une huître (4è quart du XIXe siècle), Faïence émaillée à décor au naturel et en relief. Tours, musée des Beaux-Arts. 16) Niderviller, Attrape avec une pyramide de mirabelles (vers 1760), faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Paris, musée de Cluny. 17) Manufacture Hannong, Strasbourg, Terrine en forme de laitue (vers 1750), faïence stannifère, décor de petit feu polychrome. Paris, musée de Cluny.
9) Charles-Jean Avisseau (1795-1861), Bassin rustique, plat en trompe l'oeil (vers 1853-1854), faïence émaillée. Tours, musée des Beaux-Arts. 12-13) France ou Italie ? Terrine en forme de melon et petite courge (vers 1750), Faïence stannifère, décor à petit feu polychrome. Lyon, musée des Beaux-Arts.
1-2) Nicolas-Joseph Richard (actif entre 1820-1872) Portrait peint de Louis-Rémy Robert peint en camée / Portrait peint de Denis-Désiré Riocreux peint en camée (1869), porcelaine dure, montage dans un cerclage en métal doré formant un rang de perles et cadre en bois noircir mouluré. Sèvres, Manufacture et Musée nationaux. 3-4) Lille, Série d'assiettes décoratives aux cartes à jouer (vers 1760-1770), faïence. Lille, palais des Beaux-Arts.
Dès le Premier Empire, la peinture illusionniste gagne en popularité et connaît un succès commercial grâce à des artistes comme Louis Léopold Boilly. Il est le premier à intituler une de ses oeuvres "Trompe-l'oeil" lors du salon de 1800 et il fait sensation. Le trompe-l'oeil est aussi très présent aux Etats-Unis avec les peintres John Haberle et John Frederick Peto.
Laurent Dabos (1761-1835), Trompe-l'oeil, dit aussi Traité de paix définitif entre la France et l'Espagne (1801 ou après 1801), huile sur bois. Paris, Musée Marmottan Monet.
Louis Léopold Boilly, Trompe-l'oeil : une collection de dessins, dit aussi Réunion de peintures et de dessins. Trompe-l'oeil (vers 1801-1807), huile sur toile. Paris, musée du Louvre.
Louis Léopold Boilly, Trompe-l'oeil : portrait de Madame Chenard, grisaille à l'imitation de l'estampe (1813), huile sur toile. Musée Marmottan Monet.
Gabriel Germain Joncherie (1785-1864), Trompe-l'oeil figurant des animaux, un oeuf et un bas-relief (vers 1820-1825), huile sur toile. Collection Kugel.
Touland (XIXe siècle), Trompe-l'oeil aux assignats et cartes à jouer (XIXe siècle), huile sur carton. Collection particulière.
Adolphe-Martial Potémont (1827-1883), Lettres d'Alsace et de Lorraine (sans date), huile sur toile. Pau, musée des Beaux-Arts.
John Haberle (1856-1933), Petite Monnaie (1887), huile sur toile. Bentonville (Arkansas), Crystal Bridges Museum.
John Frederick Peto (1854-1907), Pour la piste (1895), huile sur toile. Washington, National Gallery of Art.
Pierre Roy, membre du groupe surréaliste, développe une peinture en trompe-l'oeil et joue avec l'échelle des objets du quotidien. Les artistes et le public d'après-guerre porte un nouvel intérêt pour le trompe-l'oeil. En 1960, le groupe des peintres de la réalité créé par Henri Cadiou expose des trompe-l'oeil au Salon Comparaisons. Jacques Poirier et Pierre Ducordeau se rallient à Cadiou pour fonder le groupe Trompe-l'oeil/Réalité. En 1993, ils exposent au Grand Palais lors de la manifestation "Le Triomphe du Trompe-l'oeil" qui remporte un vif succès avec des milliers de visiteurs.
Carlo Guarienti (1923-2023), Trompe-l'oeil au porte-courrier (1955), huile sur panneau. Collection particulière.
Martin Battersby (1914-1982), Trompe-l'oeil (vers 1960), huile sur toile. Collection Patrick Mauriès.
Pierre Ducordeau (1928-2018), Tableau en déplacement (1966), huile sur toile. Paris, collection Ducordeau.
Jacques Poirier (1928-2002), Le reliquaire (années 1980), huile sur panneau. Lyon, galerie Saint-Hubert.
Jud Nelson (1943), Chemise I (Cardin), série Holos 10 (1985), marbre de Carrare. New-York, Louis K. Meisel Gallery.
La section de camouflage est créée en août 1915. Des artistes et décorateurs de théâtre spécialistes de l'illusion développent des dispositifs homologués par les généraux pour protéger les hommes et améliorer la défense. Cette nouvelle arme qu'est le camouflage va se perfectionner au fil des conflits pour que le soldat se confonde avec son environnement.
Jean-Baptiste Eugène Corbin (1867-1952), Maquette de canon peinte pour des études sur le camouflage, Toul (France) (août 1914), modèle réduit en bois et fer peint. Paris, musée de l'Armée.
Daniel Camus (1929-1995), Le retour dans la jungle est aussi pénible que l'aller. La montée est dure sous le soleil, photographie 19 du reportage intitulé Coup de main sur les positions Vietminh au nord de Diên Biên Phu (2 février 1954), tirage gélatino-argentiques noir et blanc sur papier baryté. Paris, musée de l'armée.
Grande-Bretagne, Ghillie suit Chamelon ® Woodland (1998), coton, polyester, plastique, métal, tissu velcro, caoutchouc. Paris, musée de l'Armée.
Cette exposition était très intrigante, parfois on restait devant des oeuvres à observer la minutie des détails qui permettaient un effet trompe-l'oeil, et parfois on s'interrogeait à trouver l'effet trompe-l'oeil. Le catalogue de l'exposition "Le trompe-l'oeil de 1520 à nos jours, Ed. Musée Marmottan - Snoeck (2024), 280 p." est un gros livre (28x22 cm) imprimé sur du papier glacé. La reproduction des oeuvres est de bonne qualité. A la fin, les oeuvres sont indexées par ordre alphabétique d'artistes. De nombreuses oeuvres sont accompagnées d'une notice présentant l'auteur et expliquant le trompe-l'oeil.
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