L'été dernier, le musée Fabre de Montpellier a rendu hommage à Jean Hugo (arrière-petit fils de Victor), à l'occasion des 40 ans de sa disparition. Plus de 300 oeuvres étaient réunies afin de présenter la vie de l'artiste et son oeuvre de 1914 à 1945. En parallèle, le musée Paul Valéry de Sète exposait une centaine d'oeuvres montrant le goût de Jean Hugo (1894-1984) pour les paysages de 1950 à 1980. Je vous résume ces deux expositions à l'aide des panneaux explicatifs et des oeuvres représentatives.
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Jean Hugo est le fils de Georges Victor-Hugo (1868-1925) et Pauline Ménard-Dorian (1870-1941). Il naît à Paris, neuf ans après la mort de son arrière-grand-père Victor Hugo. Il baigne très tôt dans le milieu intellectuel et politique grâce aux salons de sa grand-mère Aline et sa mère Pauline qui réunissent des personnalités (Emile Zola, Alphonse Daudet, les frères Goncourt, Eugène Carrière, Rodin, Clémenceau...) dans leur hôtel particulier rue de la Faisanderie. Suite à sa séparation avec Georges, Pauline se marie avec le peintre Hermann-Paul (1864-1940). Jean Hugo ne rencontre son père également peintre qu'en 1914.
Eugène Carrière (1849-1906), Portrait de Madame Aline Ménard-Dorian (1905), huile sur toile. Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
Gustave Colin (1828-1910), Portrait de Pauline Ménard (1887), huile sur toile. Collection particulière.
Georges Hugo (1868-1925), Jean Hugo enfant, Guernesey (été 1898), huile sur toile. Collection particulière.
René Georges Hermann Paul (Hermann Paul, dit), Portrait de Jean Hugo (sans date), huile sur toile. Collection particulière.
Jean Hugo exécute son service militaire lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Jean Hugo connaît les tranchées de Verdun en 1916 et finit la guerre en tant qu'aide de camp-interprète de l'armée américaine. En 1917, lors d'une permission, il rencontre Valentine Gross (1887-1968), jeune artiste qui dépeint la modernité des ballets russes. A travers elle, il découvre Guillaume Apollinaire, Pablo Picasso et Jean Cocteau. Ils se marient en 1919.
C'est pendant les longs moments d'attente et d'ennui de son quotidien de militaire que Jean Hugo dessine son environnement : son ordonnance dormant, les paysages ruinés, lui-même... Malgré son enfance dans un milieu très cultivé, il n'a reçu aucune formation artistique. Mais son trait est très maîtrisé et révèle un sens aigu de l'observation. A la fin de la guerre, ces dessins se rapprochent du cubisme sur des sujets du quotidien (journal, verre, pipe...).
Valentine Hugo, Nijinski dans " Le Spectre de la rose" (1912), crayon graphite sur papier. Paris, Bibliothèque nationale de France, musée de l'Opéra.
Valentine Hugo, Valentine jouant avec un damier (sans date) / Valentine lisant (vers 1918-1919), crayon sur papier. Boulogne-sur-Mer, bibliothèque municipale.
Jean Hugo, Maisons en ruine à la Targette (1915) / Autoportrait (1918), crayon graphite sur papier vélin beige fin. Musée franco-américain du château de Blérancourt.
Jean Hugo, Intérieur d'un bar (1917), crayon graphite, aquarelle sur papier vélin beige fin. Musée franco-américain du château de Blérancourt.
Jean Hugo, Le Soldat Lièvre, ordonnance de Jean Hugo (1918), crayon sur papier (page de carnet). Musée franco-américain du château de Blérancourt.
Jean Hugo, Nature morte, un accordéon et son étui (1918), crayon, aquarelle sur papier vélin beige fin. Musée franco-américain du château de Blérancourt.
Jean Hugo, Deux panneaux de signalisation de chemin de fer (sans date), lavis d'encre sur papier vélin beige fort. Musée franco-américain du château de Blérancourt.
A la fin de la guerre, l'envie de vivre devient un moteur dans le monde des arts. Pendant ces années folles, Jean et Valentine Hugo ont conjugué leurs talents au service des manifestations artistiques, ce qui les rend très célèbre dans le monde des arts et du monde parisien. Jean Hugo participe à l'illustration du recueil "Les Joues en feu" du poète Raymond Radiguet mort précocement en 1923. Jean Cocteau est très proche du couple Hugo, ils vont collaborer ensemble sur plusieurs oeuvres du poète, dont l'adaptation de "Roméo et Juliette" en 1924 et du ballet "Les mariés de la Tour Eiffel". Le couple laisse aussi sa trace pour le film "La Passion de Jeanne d'Arc" en réalisant les costumes.
Valentine Hugo, Raymond Radiguet et Jean Hugo dans un décor de Paquebot au Magic City (vers 1921), photographie. Boulogne-sur-Mer, bibliothèque municipale.
Raymond Radiguet, Jean Hugo, Les Joues en feu : poèmes édition F. Bernouard, Paris, 1920. Paris, Bibliothèque nationale de France.
Jean Hugo, Jean Cocteau avec une muse (1923), crayon graphite, plume et encre noire sur papier vélin. The Estate of Richard Buckle.
Jean Hugo, Costume de Juliette (d'après Roméo et Juliette de Jean Cocteau, 1924), 1944, robe en velours noir peinte en rose et bleu, col et plastron blancs, paire de poignets blancs. Paris, Bibliothèque nationale de France.
Les mariés de la Tour Eiffel, Ed. NRF, Paris, 1924. Montpellier, Bibliothèque universitaire Paul Valéry.
Jean Hugo, Maquette de costume pour les "Mariés de la Tour Eiffel" : La Baigneuse de Trouville (1921), crayon, gouache, encre sur papier. Stockholm, Dansmuseet.
Jean Hugo, Costume pour le film "La Passion de Jeanne d'Arc", de Dreyer : le cistercien (vers 1925), gouache sur papier. Montpellier, musée Fabre.
Valentine Hugo, Maquette de costume pour "A la recherche du temps perdu" : liftier tenant une raquette / Cycliste, costume mi-homme, mi-femme (1928), mine de plomb, gouache. Paris, Bibliothèque nationale de France.
Après avoir découvert des dessins chez Valentine, Jean Cocteau est l'un des premiers à avoir encouragé Jean Hugo sur la voie artistique. Ils se sont tout les deux exercés à partir de couvertures illustrées de magazine, comme en témoignent ses gouaches colorés avec une touche d'humour. Sa fascination pour Pablo Picasso et son amitié avec le peintre Roger de La Fresnaye (1885-1925) nourrissent ses premières oeuvres. La découverte de Henri Rousseau, dit le Douanier Rousseau en 1912 fera aussi parti de ses inspirations. Et enfin, dans ses oeuvres de la campagne provençale, Jean Hugo est proche du style de Félix Vallotton (1865-1925) qu'il a connu grâce à son beau-père illustrateur qui fréquente le groupe des Nabis.
Jean Hugo, Les Amants de Meudon / Couple sur la plage (1921), gouache sur papier. Collection particulière.
Jean Hugo, L'Homme à la pâquerette (1921), huile, collage, technique mixte sur carton. Montpellier, musée Fabre.
Roger de la Fresnaye, Le Malade assis dans son lit (1922), gouache, graphite sur papier. Collection particulière. Belgique.
Le Douanier Rousseau (Henri Rousseau, dit) (1844-1910), Le Pont de Grenelle (1892), huile sur toile. Musée d'Art Naïf et d'Arts Singuliers, Laval.
Le Douanier Rousseau, Promeneurs dans un parc (entre 1900 et 1910), huile sur toile. Paris, musée de l'Orangerie.
Jean Hugo a un certain talent de décorateur qui lui permet de créer des paravents originaux (La Mythologie, Les Métamorphoses). Ils vont lui apporter un grand succès auprès d'une clientèle fortunée, comme la pianiste Misia Sert (1872-1950). Jean Hugo fréquente des architectes d'intérieur, comme Emilio Terry (1890-1969) avec qui il va collaborer. La poésie de Jean Hugo qui mêle mythologie et rêve, lui vaut sa première exposition en galerie d'art en 1926, organisée par la célèbre marchande d'art : Jeanne Bucher (1872-1946). En 1928, il réalise un ensemble de panneaux décoratifs pour la chambre à coucher de la princesse Faucigny-Lucinge, dite Baba (1902-1945).
En 1925, Valentine Hugo s'oriente vers le surréalisme. Elle fréquente Paul Eluard et André Breton et expose dans les grandes expositions du mouvement. Jean et Valentine vont s'éloigner progressivement et divorcer en 1932.
Le Miroir magique (1927), planche coloriée au pochoir par Jean Saudé d'après les gouaches de Jean Hugo, ed. Jeanne Bucher, Paris, 1927. Fonds Jean Hugo.
Jean Lurçat (1892-1966), Paysage grec ou la Statue dans les ruines (1927), huile sur toile. Maison-Atelier Lurçat, Paris.
Jean Hugo, Intérieur à la fenêtre ; Canapé aux colonnes torsadées, projet pour salon de l'Hôtel Crillon (sans date), gouache sur papier. Collection particulière.
Jean Hugo, La Mythologie, paravent à trois feuilles (1925-1926), tempera sur toile. Collection particulière.
Jean Hugo, La Mythologie, paravent à cinq feuilles (1925-1926), tempera sur toile. Collection particulière.
Jean Hugo, La Mythologie, paravent à cinq feuilles (1928), peinture laquée à l'huile. Collection particulière.
Jean Hugo, Les Métamorphoses, paravent à trois feuilles (vers 1930), tempera sur toile. Collection particulière.
Emilio Terry, Jean Hugo, Germaine Montereau broderie (1892-1959), Quatre chaises de salon "Les Nymphes" - Banquette de salon (1929-1931), bois peint et doré, laine brodée, coton et laine brodée. Saint Germain-en-Laye, musée départemental Maurice Denis.
Valentine Hugo, Composition avec paysage parisien et deux personnages (vers 1930), huile sur toile. Paris, musée Carnavalet.
Valentine Hugo, Portrait d'Arthur Rimbaud (Décembre 1933), huile, collage, strass sur panneau. Collection particulière.
En 1929, Jean Hugo hérite du mas de Fourques. A la recherche de calme, il s'y installe et se consacre à la peinture en renouant avec d'anciennes méthodes comme la tempera. Il y fera sa conversion à la foi catholique. Fourques devient un lieu de visite pour plusieurs artistes dont Christian Bérard (1902-1949) ou Euphrosine Munster, compagne du peintre Christopher Wood (1901-1930). De 1931 à 1934, Jean Hugo se rend aussi en Bretagne, région natale de sa mère.
Jean Hugo, Notre-Dame-des-Bois (1932), tempera sur papier. Strasbourg, bibliothèque nationale et universitaire.
Jean Hugo, L'Ermite de Meudon (1933), tempera sur toile. Strasbourg, bibliothèque nationale et universitaire.
Christopher Wood, The Manicure (Portrait of Frosca Munster), 1929. Huile sur toile. Bradford, Bradford District Museums and Galleries.
Jean Hugo, Marine bretonne : plage avec la femme sur grève et Marine méditeranéenne : vue d'une plage, deux barques échouées (1954), huile sur toile. Collection privée.
A l'occasion du centenaire du drame "Ruy Blas", Jean Hugo crée les décors et costumes de la pièce qui sera donné à la Comédie-Française. Il rencontre la tragédienne Marie Bell et collabore avec elle sur plusieurs grands classiques dont "Phèdre" de Racine. Brièvement remobilisé en 1939, il retourne à Fourques en 1940, où il abrite des célébrités inquiétées par les Allemands.
En 1949, il épouse Lauretta Hope-Nicholson avec qui il aura sept enfants : Charles, Marie, Jean-Baptiste, Adèle, Jeanne, Sophie, Léopoldine. En peinture, il représente des paysages à travers un nouveau sentiment de profondeur.
Jean Hugo, Maquettes de costumes pour "Ruy Blas" : Don Guritan, La Reine (1938), gouache, crayon, papier vergé. Maisons de Victor Hugo, Paris / Guernesey.
Jean Hugo, Paysage nocturne (verso) / Nature morte devant la fenêtre (recto) (vers 1980), huile sur toile, paravent à deux feuilles double-face. Collection particulière.
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Jean Hugo, installé à Fourques, apprécie aussi la Camargue et l'Aveyron, en particulier la vallée du Durzon, près de Nant, où il achète une maison en 1962. Jean Hugo aime représenter les activités agricoles rythmées par les saisons dans la campagne de Lunel ou dans l'Aveyron. La nature pour lui n'est pas vide de présence humaine ou animale. Il représente hommes, femmes et enfants par des silhouettes. Et quelques oeuvres reflètent les évolutions techniques menaçant le calme de la campagne.
Jean Hugo, Le Mas de Sarguet et le mazet de Lange (Le mazet du coiffeur) (1959), huile sur toile. Collection particulière.
Jean Hugo, Mas du pré aux femmes en noir (1968), huile sur bois. Saint-Rémy-de-Provence, musée Estrine.
En 1953, Jean Hugo séjourne en Catalogne, plus précisément à Calafell, où il porte un certain intérêt aux pêcheurs. En 1972, Jean Hugo se rapproche du groupe des peintres Montpellier-Sète avec qui il est invité à exposer au musée Paul Valéry. Il exécuta pour cette occasion plusieurs tableaux représentant le port de Sète ou des scènes de vie.
Jean Hugo sillonne la France au cours de nombreuses excursions qui l'emmènent souvent vers le Nord de la France, lié à ses origines familiales. L'île de Guernesey a marqué son enfance et porte le souvenir de Victor Hugo. Il voyage également vers l'Ouest, lorsque sa famille fuit la chaleur du sud. Jean Hugo est tombé sous le charme de la Bretagne depuis 1930.
Anglophone depuis sa jeunesse à Guernesey et encore plus depuis son mariage avec Lauretta Hope-Nicholson en 1949, Jean Hugo expose régulièrement en Grande-Bretagne. Londres lui inspire quelques paysages urbains. Il aime aussi représenter la campagne anglaise et ses villages de maisons de pierre.
Jean Hugo, Jardin de la Salutation à Sandwich, Kent (sans date), huile sur isorel. Montpellier. musée Fabre.
Jean Hugo a peu voyagé à l'étranger. Mais, les occasions ne manquent pas pour lui d'imaginer de lointains pays pour des commandes. En effet, pour l'exposition universelle de Montréal en 1967, on lui confie la commande de six grandes toiles "Les Pays en marche" : Dalmatie, Canada, Cuba, Tunisie, Sénégal et Ceylan, seule la Tunisie est pour lui un pays connu, visité dans les années 30.
Jean Hugo, Cafetière noire et fruits devant la fenêtre (1953), huile sur toile. Collection particulière.
Jean Hugo est aussi un excellent dessinateur. Ses travaux à l'encre et ses lavis, souvent méconnus, révèlent les étapes qui précèdent la peinture. Jean Hugo porte un grand intérêt à la poésie et à l'univers du livre, la riche bibliothèque de Fourques attise sa curiosité, et est à l'origine d'un dessin ou d'une série d'illustrations en noir et blanc. En 1948, il rencontre l'éditeur Pierre-André Benoît qui réunit autour de lui un grand nombre d'auteurs et d'artistes. Jean Hugo collaborera à une cinquantaine d'ouvrages.
Jean Hugo, Les Meules de foin (1938), gouache sur papier. Alès, Musée-Bibliothèque Pierre-André Benoît.
J'ai visité ces deux expositions avec beaucoup de plaisir. Jean Hugo porte bien son nom, c'est un artiste aux multiples talents comme son arrière-grand-père. J'ai surtout aimé ses paysages aux couleurs assez vives. Le catalogue de l'exposition "Jean Hugo, le regard magique. Ed. Snoeck, 2024 (304 p.)" est un gros livre (25x30), imprimé sur du papier glacé. Les oeuvres reproduites reflètent très bien les oeuvres exposées. Par contre sur près de 500 oeuvres exposées, seul 300 sont reproduites. De plus, elles ne sont pas indexées par titre, mais classées selon le fil de l'exposition.
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